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Arts & Récits Autochtones - L'objet sacrée

L'objet sacrée

2016 - Lauréat de récits

Dans notre culture, il faut avoir rêvé du tambour trois fois pour pouvoir le jouer. D'après une croyance, ceux qui le jouent sans avoir rêvé du tambour sont destinés à mourir plus jeune. Chez les Innus, le Teueikan est, avant tout, un outil de survie – un lien direct avec le monde du rêve. C'est le rêve qui déclenche le processus de fabrication d'un tambour. À ma connaissance, tu n'as jamais fait ces trois rêves.

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Aline Fontaine

Maliotenam, QC
Uashat Mak Mani-Utenam
Âge 18

Une note d'auteur

Je suis une Innue de la communauté de Uashat mak Mani-Utenam. À la naissance, j'ai été adoptée par un couple provenant de ce village. Ma mère biologique est originaire de la nation naskapie de Kawawachikamach. Elle a 10 enfants et je suis la 9e de la famille. Je me suis toujours considérée chanceuse d'avoir été élevée par ces gens – mes parents adoptifs. Je suis leur première enfant. Aujourd'hui, je me rends compte que cela a été le plus beau cadeau que la vie m'ait offerte. Je ne nie aucunement mes origines; je crois que ces deux nations font partie de moi et j 'en suis très fière.

Mon père adoptif m'a poussé à écrire ce texte. À l’école, quand je fais des textes, ils ont toujours un rapport avec lui. ll nous a quitté il y a bientôt quatre ans. Mon père m'inspire tous les jours. Pour moi, c'est plus qu'un homme qui m'a élevé. Je suis reconnaissante que Dieu l'ait mis dans mon chemin. Étant enfant, je n’étais pas consciente à quel point son travail était important. Je me souviens juste que j 'étais sa plus grande admiratrice. Maintenant, je réalise qu'il était bien plus qu'un simple chanteur et je regrette de ne pas avoir demandée plus de questions. Mon père occupe une grande place dans ma vie, même en étant dans un autre monde.

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L'objet sacrée

Par ici, presque tous les musiciens s'accompagnent d'une guitare. Rares sont les gens qui frappent le tambour, mis à part les ainés. Dans notre culture, il faut avoir rêvé du tambour trois fois pour pouvoir le jouer. D'après une croyance, ceux qui le jouent sans avoir rêvé du tambour sont destinés à mourir plus jeune. Chez les Innus, le Teueikan est, avant tout, un outil de survie –  un lien direct avec le monde du rêve. C'est le rêve qui déclenche le processus de fabrication d'un tambour. À ma connaissance, tu n'as jamais fait ces trois rêves.

Tu  es né à Maliotenam tu as vécu à Maliotenam, et tu es mort à Maliotenam. Tu n'hésitais pas à exprimer la fierté de tes origines. Tout a commencé pour toi avec une troupe de danse traditionnelle. Tu avais dans la vingtaine. En peu de temps, tu es devenu l'âme de la Troupe Carcajou. Tu as fait plusieurs spectacles au Québec et en France. Le succès était très présent. Après une dizaine d'années passées avec eux, tu as decidé de poursuivre ce projet avec des jeunes. Grâce à toi, plusieurs ont eu la chance de voyager et de vivre une telle expérience. Celui qui se faisait traité de sauvage dans les écoles qu'il fréquentait était résolu à aider et à donner l'exemple  du mieux qu'il  le pouvait. Tu souhaitais que tous les jeunes des Premières Nations soient fiers de leurs origines et qu'ils ne laissent pas tomber leur culture.

Dans tes chansons en montagnais, tu aimais dire les vraies choses. Tu chantais ainsi de ton peuple, tes préoccupations et ta survie depuis plus de 30 ans. Les messages que tu aies passés rejoignaient bien des gens et ta musique les invitait aux danses traditionnelles, tant ton rythme était inspirant. Les trois mots qui étaient la raison d'être dans tes textes : culture, langue, tradition. Bien que tu en aies six en tout[EK1] , tu affirmais ton histoire, dédiais ton travail à tes grands-parents et parlais de la solidarité indienne face au territoire volé par les Blancs. En spectacle, tu te donnais corps et âme pour les spectateurs.

Ici, les gens t'appelaient Mishtamek. En innu, cela veut dire « baleine. » Avant le jour de tes funérailles, je ne savais pas d'où venait ce sumom. Les gens d'ailleurs, eux, disaient « Ka Utapanashkutshet » pour parler de toi. Ce sumom-la fait référence à 1'une de tes chansons la plus populaire. Tu sais, depuis que tu n'es plus là, plusieurs chanteurs aiment la chanter pour te rendre hommage. Mais ma préférée parmi toutes est celle que tu as composé pour nous, tes deux filles. Dans cette chanson, tu dis à quel point tu nous aimes et que tu nous ne ferais jamais de mal. Tu dis aussi que tu pries pour nous chaque soir et tu demandes à Dieu de veiller sur nous. Maintenant, je sais que c'est toi qui veille sur nous.

Aujourd'hui, je crois que  c'est  toi qui  as choisi cet instrument, et  pas lui.  Malgré 1'interdiction des ainés de notre village, tu as tout de même décidé de suivre ton coeur et de t'accompagner du Teueikan pour t'exprimer. Ton destin était d'être un chanteur et joueur de tambour et de mourir sans même avoir fini de vivre. Avant ta mort, je ne comprenais pas pourquoi les gens disaient que les meilleurs partent en premier. Maintenant oui. Le créateur voulait-il te punir de ne pas avoir crû à une croyance? Je ne sais pas... Faut croire qu'il avait besoin de toi dans le monde des esprits.

Ta voix et tes rythmes lorsque tu faisais raisonner le Teueikan ont laissé des traces inoubliables dans la mémoire et les coeurs des gens à travers les villes du monde que tu as visitées.

Repose en paix, Nuta.

 

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