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Arts & Récits Autochtones - Avez-vous un pansement?

Avez-vous un pansement?

2010 - Lauréat de récits

11h50 de la matinée, je suis assise sur mon divan. Dehors, le ciel est bleu mais, au loin, j’aperà§ois les nuages qui arrivent. Personne ne sait, mais moi, j’ai toujours essayé de guérir par moi-même, de laisser ouvrir la plaie pour être plus forte demain. Mais là je vois bien que c’en est trop. L’alcool, la drogue et le jeu sont entrés dans ma vie et me vident les poches et l’âme. Suis-je donc à jamais condamnée?

Lisez l’histoire de June Kîzîs Anichinapéo

June Kîzîs Anichinapéo

Lac-Simon, QC
Algonquine
Âge 18

Une note d'auteur

Quand j’ai entendu parler pour la première fois du concours canadien de rédaction pour Autochtones, j’avoue, au début, être restée indifférente. Mais après avoir visité le site du concours, j’ai alors compris que c’était pour moi l’occasion de parler du pensionnat, un sujet sensible et qui me tient beaucoup à coeur.

Personnellement, j’ai trouvé difficile de composer un texte sur le pensionnat, de faire un retour dans mon passé et de trouver des événements qui ont un lien avec cette institution gouvernementale. Je prends aussi conscience qu’il est beaucoup plus difficile et douloureux pour les survivants et survivantes des pensionnats de parler de leurs mauvaises expériences vécues dans les pensionnats autochtones. C’est donc pour eux et nos communautés que j’ai composé cette rédaction.

Avant tout, sachez que mes intentions ne sont pas de juger quelqu’un ou un groupe de personne en particulier, ni de faire resurgir le passé ou de faire du mal à une ou plusieurs personnes. Je souhaite simplement donner de l’espoir et un peu de lumière aux gens qui ont vécu des sévisses dans les pensionnats, de dire à ces personnes et à leurs enfants qu’ils ne sont plus seuls désormais. De plus, à travers les mots, mon intention est aussi de dénoncer les choses malhonnêtes qui se font dans nos communautés autochtones par des groupes d’individus, ou de leaders ou, tout simplement, certaines personnes. Je voudrais encore, que les jeunes prennent eux
aussi conscience des conséquences que ces lourds événements ont apportées dans nos vies et continueront d’apporter.

Pour finir, je dédie ma rédaction à mon grand-père, Phillip Papatie, qui, je le sais, était un grand homme dans notre communauté algonquine afin qu’il sache que maintenant je connais la vérité. Aussi, Avez-vous un pansement est un texte également dédié à la mémoire des jeunes enfants et adolescents qui n’ont jamais pu rentrer à la maison, et aux 80 000 anciens pensionnaires toujours en vie. Migwect et que Dieu vous garde!

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Avez-vous un pansement?

11h23 du matin, le ciel est bleu, le printemps cogne déjà  à  notre porte. L’hiver n’avait jamais été aussi froid, et que dire du printemps qui me semble avoir un goà»t si amer et répugnant. Dans mon coeur, semble vivre un orage ou un sac rempli d’honteuses histoires et de douleur impossible à  panser. Ma vie me paraît sans intérêt et le mot guérison est depuis peu, effacé de mon vocabulaire.

Certaines personnes disent que vivre dans une réserve c’est comme passer sa vie dans une prison. Beaucoup de jeunes se sentent enfermés ou pensent que c’est le monde qui se ferme à  eux. Les rêves meurent en grandissant ou on les oublie tout simplement. La violence, le suicide, les crimes, la toxicomanie, le manque d’écoute, de respect et d’ouverture d’esprit, voilà  comment sont perà§ues nos communautés autochtones, et dire que beaucoup d’entre nous parlent même de ghettos.

Dans ma tête, c’est comme si plus rien ne concordait. Je pense sans cesse à  l’enfant que j’étais et, quand je pense à  cette enfance, belle mais brisée, un souvenir me reste plus pénétrant que les autres, le souvenir distinct d’un bel après-midi d’été, sur la route, mon père est avec moi. Il ne disait aucun mot et il semblait toujours absent. Puis, il y eut cet instant où il me dit : :« Ma fille regarde c’est là  où je suis allé quand j’étais jeune:». C’est là  que j’ai vu pour la première fois le pensionnat d’Amos. Cette vieille bâtisse en ruine me semblait si petite de loin, mais, en fait, elle était si grosse et si lourde dans le coeur de mon père.

Ce n’est qu’un peu plus tard que je compris ce qu’était le pensionnat et que, moi, peut-être, j’avais eu de la chance de n’avoir jamais été forcée de m’éloigner de mes parents et eux de n’avoir jamais eu à  être arrachés à  moi. Aucun prêtre ni aucune soeur ne m’a regardée dans les yeux en me disant que mes parents ne m’aimaient plus, qu’ils étaient trop sauvages ou pauvres pour prendre soin de moi. Aucune personne de l’église ne m’a enlevé ma culture, ne m’a frappée ou brutalisée quand je parlais ma langue ou ne m’a fait du mal comme certain l’on fait à  des milliers d’enfants. Cependant, quand j’étais enfant, ma culture, ma langue algonquine et mon identité me furent volés au même moment où mes parents ont été forcés à  quitter les terres de leur enfance pour être assimilés dans les pensionnats indiens.

11h50 de la matinée, je suis assise sur mon divan. Dehors, le ciel est bleu mais, au loin, j’aperà§ois les nuages qui arrivent. Personne ne sait, mais moi, j’ai toujours essayé de guérir par moi-même, de laisser ouvrir la plaie pour être plus forte demain. Mais là  je vois bien que c’en est trop. L’alcool, la drogue et le jeu sont entrés dans ma vie et me vident les poches et l’âme. Suis-je donc à  jamais condamnée?

Dire qu’il n’y a pas si longtemps encore, je regardais mon père du haut des estrades, qui jouait au hockey. Il passait presque toute une période sur la glace, je me disais seulement :« ayoye! :» il est bon mon père. Puis un jour, ma mère me raconta l’enfance de celui-ci, quand il avait appris à  jouer ce sport. Le prêtre du pensionnat forà§ait les jeunes garà§ons à  jouer au hockey. Il les frappait à  coups de règle, s’ils ne jouaient pas bien, et même qu’aucun enfant n’avait le droit de prendre une pause pour se reposer ou aller à  la toilette. C’est là  que j’ai su que mon père fut l’un de ses enfants, parmi tant d’autres, qui avaient subi l’humiliation et la violence physique.

Aujourd’hui, dans nos communautés, on passe beaucoup de temps à  se juger, se faire du mal, mentir, parler dans le dos des autres et vivre dans la violence familiale, conjugale et sexuelle. Des enfants qui croient que frapper est la seule solution pour régler ses conflits, de jeunes adolescents laissés à  eux-mêmes pendant que les parents partent jouer au bingo, au jeu de loterie ou encore consommer. Des hommes et des femmes qui agressent des enfants, gâchant ainsi l’enfance d’un innocent qui, à  son tour, ira, dans la plupart des cas, gâcher celui d’un autre enfant. J’aimerais tant que le soleil qui brille dehors, puisse briller aussi au fond de nos coeurs et panser nos blessures avec sa chaleur. Avoir un peu de lumière au fond de nos yeux et faire en sorte que demain tout aille mieux. Nous ne sommes pas parfaites nous disons-nous trop souvent, et pourtant, se convaincre qu’il y a pire que nous n’arrange pas les choses.

Les aînés ne savent plus être grands-parents et oublient trop souvent que, dehors, les jeunes voudraient apprendre. Des jeunes à  qui on a tragiquement oublié d’enseigner l’écoute et la sagesse. Mais je me dis que ce n’est pas la faute de nos ainés, car ce ne sont pas eux qui ont enfermé les enfants dans les pensionnats, qui ont vidé le village des rires de l’innocence ou qui ont mis de cà´té leurs responsabilités. D’ailleurs, beaucoup ont vécu la dépression. Des parents qui se sont refugiés dans l’alcool oubliant de prendre soin des plus petits et d’eux-mêmes. Ils ont oublié ce qu’était être parent et l’enfant autochtone n’était plus.

12h25, c’est le midi. Quelques nuages sont apparus, le soleil brille légèrement, je vois plus clairement maintenant. Je me sens moins lourde, mais davantage épuisée. L’air semble plus frais et respirable, suis-je vraiment réveillée?

L’eau et le sel se sont mélangés dans mes yeux. Goutte à  goutte, le mélange homogène coule sur mes joues. Je pleure, je pleure sincèrement regardant par la fenêtre de chez moi les enfants qui jouent dans la rue.

Accroché sur leurs visages d’anges, un sourire large et lumineux comme le ciel bleu, rayonne, et les petits sourient jusqu’à  mon âme.

Les gouvernements ont créé les pensionnats dans le seul but de tuer l’Indien au sein de l’enfant. Mais nous sommes encore là , blessés, traumatisés et nos coeurs sont marqués des noms des enfants qui ont disparu.

Tous enterrés dans des tombes anonymes, mais dont l’esprit voyage en paix avec le vent et viennent dans nos rêves, murmurant à  l’oreille de ceux qui écoutent : moi aussi j’étais là  et je suis maintenant libéré.

Aucune excuse ni aucune somme d’argent ne pourront panser les profondes plaies laissées dans nos coeurs. Elles ne changeront pas non plus nos mauvaises habitudes de vie et jamais elles ne transformeront l’enfant et le parent Anishnabe tels qu’ils étaient avant le pensionnat indien. La guérison ne viendra pas de l’homme blanc, mais bien de nous, les Premières Nations.

Malgré les problèmes qu’on vit et les blessures que nos parents nous ont transmises, il n’est pas trop tard pour guérir, me dis-je. Accueillir la vision qui nous a été donnée, laisser la voix de nos ancêtres nous parler, arrêter de manigancer et renforcir les programmes qui ont été mis en place par nos anciens leaders et les anciens pensionnaires afin d’aider nos communautés et les gens à  cheminer.

Que ce soit en communauté, en famille ou entre amis, l’espoir est là . L’espoir de rattraper le temps qui nous fut volé, de le vivre pleinement avec prospérité et dans nos valeurs Anishinabe, d’enseigner aux enfants ce que nos ancêtres nous ont transmis; guérir nos coeurs afin de retrouver ce que nous étions vraiment, un peuple fier et fort. Se relever en tant qu’Anishinabe afin d’apprendre à  aimer; à  s’aimer. Se rappeler notre culture, notre identité, parler à  nouveau notre langue et redevenir fiers de qui nous sommes.

13h15 de l’après-midi. Le ciel est joli, je ferme les yeux et je vois le chalet de mes parents. Je sens l’odeur du bois, brà»ler; j’entends les oiseaux chanter et les arbres se balancer. J’ouvre les yeux, je ne sens plus le vide qui m’habitait, les enfants sont dans la rue, ils rient, ils s’amusent.

Je sors de la maison, je sens la Terre sous mes pieds, l’odeur de la nature enveloppe mon corps. J’entends les arbres m’appeler et le vent me murmurer que la vie est toujours là  et qu’elle continue. Le bruit de la rivière et le son du tambour… je les entends clairement, ils sont là , dans mon coeur et mon esprit. écoutez attentivement et vous l’entendrez aussi.

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